Étude > relativisme
Tout est relatif !
Cette page est une brève annexe aux lettres Pas de temps à perdre
et La bonne doctrine
.
Petit schéma frappe souvent plus que long discours. Voici donc deux illustrations que vous avez peut-être déjà rencontrées : l'une fait référence à la situation de plusieurs chemins qui serpentent à flancs de montagne pour converger vers le sommet ; l'autre fait référence à l'histoire de six aveugles qui découvrent un éléphant et tentent de le décrire en touchant chacun une partie de l'animal (trompe, oreille, défense, ventre, jambe, queue).
Chacun sa route, chacun son chemin
Chacun sa route, chacun son chemin, chacun son rêve, chacun son destin... passe le message à ton voisin
, nous dit la ritournelle[n1]. Pour le sage de la montagne, nulle concurrence réelle entre les diverses spiritualités, religions ou philosophies : chaque voie
offre ses raisons de la suivre pour atteindre le sommet
, l'ultime vérité existentielle. Chacun est appelé à reconnaître le caractère non exclusif de sa route ou de son chemin : faire des disciples (prosélytisme) ou ne pas en faire est finallement indifférent (indifférentisme).
Ce discours séduit. Pourtant, il n'est qu'illusion. Le sage de la montagne, qui n'a rien contre le prosélytisme (passe le message à ton voisin
), appelle ses contemporains à se voir sur des sentiers tout aussi viables les uns que les autres (relativisme). Or il ne peut l'affirmer qu'en voyant ces différents sentiers converger (universalisme : à terme, tout le monde rejoint le sommet). De manière absolue et exclusive, il s'affirme en situation de les voir tous, il se place lui-même hors des sentiers, au sommet de la montagne, voire au-dessus d'elle. Son point de vue global est en fait tout aussi absolu que celui de Jésus, par exemple, et notoirement différent question chemins et destinations :
Entrez par la porte étroite, [dit Jésus,] car large [est la porte] et spacieux le chemin qui mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là. Mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mènent à la vie, et il y en a peu qui le trouvent. (Évangile selon Matthieu 7.13-14)
Les aveugles et l'éléphant
C'est l'histoire bien connue de plusieurs aveugles qui se disputent au sujet de l'éléphant qu'ils viennent de palper : Cette chose-là ressemble à un serpent, dit celui qui a manipulé la trompe ; non, à un éventail, dit celui qui a saisi une oreille ; à une lance, dit celui qui a touché une défense ; à un mur, dit celui qui vient de heurter le flanc de l'animal ; à un tronc d'arbre, dit celui qui a rencontré une patte ; à une corde, dit celui qui trouva la queue.
C'est alors qu'intervient un roi sage qui met fin à la dispute en leur expliquant que chacun a partiellement raison, même si tous sont dans l'erreur.
Le but de cette fable est de dénoncer les postures absolutistes dans l'expression de nos convictions (religieuses, philosophiques, culturelles...). Personne n'a le monopole de la vérité : toutes les religions, toutes les philosophies (pluralisme) ont leur part de vérité (relativisme). De là, nous sommes invités au cumul d'expériences (syncrétisme) - par exemple, christianisme-yoga, christianisme-franc-maçonnerie, etc. - ou nous sommes appelés à douter de tout (agnosticisme) : l'aveugle qui a touché une défense peut aussi bien avoir eu affaire à une statue de licorne ; ceux qui ont touché une défense, le ventre, une patte et la queue de l'animal peuvent avoir palpé un rhinocéros !
Discours séduisant, mais, là encore, gare au relativisme trompeur ! Car où réside le fin mot de l'histoire ? Comme l'a souligné Lesslie Newbigin, la leçon de la fable repose totalement sur la figure du sage, qui, lui, affirme voir l'éléphant et invite les autres, les aveugles, à relativiser leur point de vue par rapport au sien[n2]. Ainsi, le jaïnisme, qui use de cette fable pour enseigner sa doctrine de la réalité relative (Anekāntavāda), explique avoir reçu cette doctrine de maîtres éveillés, omniscients (les Tîrthankaras)[n3].
Je conclurai ici par ce propos de circonstance :
...il viendra un temps où les hommes ne supporteront plus la saine doctrine ; mais au gré de leurs propres désirs, avec la démangeaison d'écouter, ils se donneront maîtres sur maîtres ; ils détourneront leurs oreilles de la vérité et se tourneront vers les fables. (2 Timothée 4.3-4)
T.P., 1er septembre 2020
_______
1. En 1994, la chanson (« Chacun sa route ») de David Grammont (alias Tonton David) apparaît dans la bande originale du film Un Indien dans la ville
de Hervé Palud. L'UNICEF la sponsorise aujourd'hui dans un clip du groupe Kids United
- clip en ligne ici -.
2. Pour aller plus loin, voir l'article de Trevin Wax du 25 août 2016 sur le site TGC (The Gospel Coalition) : 3 Ways 'The Blind Men and the Elephant' Story Backfires
- en ligne ici -.
3. Voir les pages consacrées à ces mots sur Wikipédia : ici pour Anekāntavāda ; ici pour les Tîrthankaras.