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Contexte étroit
Le livre de la Genèse débute par deux tablettes du commencement
[n1], faciles à distinguer, la semaine de la création et l'histoire du jardin d'Eden.
Pour autant, la distinction donne déjà lieu à débat : Où s'achève la première tablette ? En 2.3[n2] ou en 2.4a[n3] ?
Voici quelques traits de la composition littéraire qui se présente à nous :
Lien entre 1.1 et 2.4a
Genèse 1.1 | les cieux et la terre | Voici l'histoire des cieux et de la terre |
Genèse 2.4a |
Au commencement [de ?] Dieu créa |
lors de leur création |
Tous les exégètes s'accordent sur le rapprochement de ces deux versets (1.1 et 2.4a) ; à ceci près que certains y voient l'unité entre les deux tablettes et d'autres le procédé familier de l'inclusion (ciel-terre; créer)
entre 1.1, titre du premier récit, et 2.4a, son anti-titre[n4].
Inclusion entre 1.1 et 2.1-3
Un procédé d'inclusion - indice de limites - peut déjà être repéré entre les versets 1.1 et 2.1-3 avec la reprise terminologique inversée (en hébreu) du verset 1.1 en 2.1-3[n5] :
1.1 Au commencement, créa
Dieu
les cieux et la terre.
2.1 Et furent achevés les cieux et la terre et toute leur armée
Et acheva Dieu le septième jour son ouvrage qu'il avait fait,
et il chôma le septième jour de tout l'ouvrage qu'il avait fait
Et bénit[n6] Dieu le septième jour et il le sanctifia, car il y a chômé de tout l'ouvrage qu'avait fait Dieu par mode de création.
Chiasme en 2.4
La construction en chiasme[n7] du verset 2.4 apparaît aussi très clairement :
A- 4a Voici la généalogie des cieux
B- et de la terre
C- lors de leur création
C'- 4b au jour où le Seigneur Dieu fit
B'- terre
A'- et cieux...
Cet indice d'unité littéraire, comme le précédent, plaide déjà pour la lecture de 2.3 comme fin de première tablette et de 2.4 comme début de la deuxième.
Jeu de mots
Le texte hébreu nous montre un auteur maître de ses mots, or le jeu suivant suggère une similitude d'ouverture des deux tablettes. Dans la Bible, la formule les cieux et la terre
est une expression classique, stable ; l'ordre de ses termes n'apparaît inversé qu'ici, au verset 2.4b, et dans sa probable reprise au psaume 148.13[n8]. Or, si la formule apparaît inversée dans l'élaboration du chiasme du verset 2.4, l'inversion paraît également élaborée dans la rédaction de la première tablette : l'auteur débute le verset 1.2 en partant de la terre (or la terre était...
) et le termine par les eaux, dont le terme hébreu הַמָּיִם
(ha-mâyim) joue avec celui des cieux, הַשָּׁמַיִם
(ha-shâmayim), en 1.1.
Tablette I | Tablette II |
---|---|
1.1 Au commencement, Dieu créa les CIEUX et la TERRE. 1.2 Or la TERRE était vague et vide, et l'obscurité (couvrait) la face de l'abîme, et l'Esprit de Dieu planait sur la face des EAUX |
2.4a Voici la généalogie des CIEUX et de la TERRE, lors de leur création 2.4b au jour où le Seigneur Dieu fit TERRE et CIEUX |
Architecture mesurée
Si l'on peut dire d'un auteur qu'il mesure son propos par le choix de ses mots, l'auteur de la Genèse va jusqu'à élaborer cette première tablette en géomètre. Notamment avec le nombre 7 qui apparaît non seulement dans l'heptaméron (la semaine de sept jours), mais jusque dans la mesure du texte (en hébreu)[n9].
7 mots | 1.1 Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre |
2 x 7 mots | 1.2 Or la terre était informe et vide... |
59 x 7 mots | 1.3-31 l'oeuvre en six jours 207 mots jusquà la fin du jour IV ; 206 mots jours V et VI[n10] |
5 x 7 mots | 2.1-3 : chômage après l'ouvrage au septième jour |
Comme le souligne la partie gauche de ce tableau, le nombre 7, bien visible dans la semaine du récit, structure tout le texte. Un indice non négligeable contre l'ajout des cinq mots du verset 2.4a à la première tablette. Paul Beauchamp a bien observé que [le] septième jour (à l'exclusion de 2,4a) comporte trente-cinq (7 x 5) mots [et que chaque] membre de phrase où est répétée "au septième jour" est de sept mots
; mais il signale sans plus de précision que, si l'on ajoute 2,4a on obtient quarante mots pour le jour du sabbat, ce qui, dans un autre registre, n'est pas un chiffre moins significatif
[n11]. Or, deux remarques ayant trait au dénombrement peuvent être opposées à cet ajout de 2.4a, lu comme anti-titre, au jour du sabbat :
Le traitement de l'activité divine (1.1-2.1) a été calculé en 441 mots (= [3 x 3] x [7 x 7]), partie suivie d'un épilogue en 28 mots (4 x 7) sur le contenu du septième jour. Or, la conclusion en 7 mots (2.1) suivie de cette situation de "repos" final (2.2-3) et traitée en 28 (= [2 x 2] x 7) mots rappelle l'introduction en 7 mots (1.1) suivie d'une situation de "calme" initial (verset 1.2) et traitée en 14 (= 2 x 7) mots. Une considération qui laisse bien peu de place à la possibilité d'un traitement du dernier jour incluant le verset 2.4a en un nombre signifiant de quarante mots.
Par ailleurs, il paraît difficile de tenir 2.4a pour l'anti-titre du récit en se fondant sur une unité signifiante de 2.1-4a en quarante mots. En effet, une telle unité littéraire jouerait contre les propos exprimés, contre la distinction entre les versets 2.1-3, qui insistent sur l'achèvement d'une oeuvre, et le verset 2.4a, qui, selon cette lecture, renvoie aux origines de cette oeuvre.
Ces considérations littéraires plaident ensemble pour une fin de la première tablette en 2.3 et un début de deuxième tablette en 2.4.
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1. L'expression est de Henri BLOCHER in [RdO] Révélation des origines, Le début de la Genèse (Collection théologique Hokhma ; Lausanne (Suisse) : Presses Bibliques Universitaires, 1979), pp. 21s. On notera que le mot tablette ne présage pas ce qui est écrit et que parler du commencement pour les deux tablettes s'accorde à la terminologie de Jésus (Matthieu 19.4ss).
2. Voir La [BS] Bible du Semeur (Cléon d'Andran, France : Editions Excelsis, 2005), p. 5.
3. Voir les notes sous Genèse 1.1 et sous Genèse 2.4b dans la [TOB] Traduction Oecuménique de la Bible (Paris : Editions du Cerf et Les Bergers et les Mages, 1984) ; ou encore dans La [BJ] Bible de Jérusalem (Paris : Cerf, 1973, édit. revue de 1984).
4. Paul BEAUCHAMP, [CS] Création et séparation, Etude exégétique du chapitre premier de la Genèse (Lectio Divina ; Paris : Les éditions du Cerf, 1969, 2005), p. 154 n. 7.
5. Gordon J. WENHAM, Genesis 1-15 (Word Biblical Commentary ; Waco, Texas : Word Books, Publisher, 1987), pp. 5s.
6. L'auteur joue sur les mots créer et bénir en hébreu, bârâ (בָּרָא אֱלהִֹים
) - bârâh (וַיְבָרֶךְ אֱלהִֹים
), et les unit dans sa méditation à plusieurs reprises (1.21-22 ; 1.27-28 ; 2.3 ; 5.1-2).
7. Stricto sensu, un chiasme (de la lettre grecque X) désigne une structure croisée (A-B-B'-A'). Par extension (comme ici), on emploie le terme pour des structures dites encore concentriques (à centre simple [exemple : A-B-C-B'-A'] ou double [exemple : A-B-C-C'-B'-A']).
8. Gordon J. WENHAM, Genesis 1-15 (Word Biblical Commentary ; Waco, Texas : Word Books, Publisher, 1987), p. 55.
9. Umberto CASSUTO, [CBG I]A commentary on the Book of Genesis, Part I : From Adam to Noah, Genesis I-VI 8 trad. Israel Abrahams (Jerusalem : The Magnes Press, The Hebrew University, 1998), pp. 13ss. S'il remarque le nombre 7 et ses multiples en 1.1 (j), 1.2 (k) et 2.1-3 (m), il ne l'a pas vu pour la mesure de 1.3-31. D'où une proposition de scinder la tablette en sept paragraphes après l'introduction de 1.1 (a), une proposition basée, non sur cette mesure littéraire dont il souligne l'intentionnalité, mais sur la formule de clôture des jours (cf. note suivante, reprise et révision des dénombrements de U. Cassuto).
10. Henri BLOCHER, Révélation des Origines, Le début de la Genèse (Collection théologique Hokhma ; Lausanne (Suisse) : Presses Bibliques Universitaires, 1979), p. 46, prolonge Paul BEAUCHAMP, Création et séparation, Etude exégétique du chapitre premier de la Genèse (Lectio Divina ; Paris : Les éditions du Cerf, 1969, 2005), pp. 67s ; pp. 28 et 71ss.
11. Paul BEAUCHAMP, op. cit., pp. 72s.
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