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L'éclairage de Genèse 2.5

Cet indice de lecture, fort discuté depuis sa mise en lumière par Meredith G. Kline[n1], est devenu un incontournable des débats. Au début de sa deuxième tablette de la Genèse, Moïse écrit ceci (2.5) :

aucun buisson des champs n’était encore, aucune herbe des champs n’avait encore poussé, car le SEIGNEUR Dieu n’avait pas fait pleuvoir sur la terre, et il n’y avait pas d’homme pour cultiver le sol[n2]

Un texte qui évoque une situation marquée par des absences (de plantes, de pluie et de travaux agricoles,) et qui justifie des absences (de plantes) par d'autres absences (de pluie, voire de travaux agricoles [certains exégètes n'interprètent pas cette clause comme une deuxième cause de la situation]). Or cette justification est invoquée par les tenants d'une interprétation littéraire du récit contre l'interprétation littérale de la succession des jours de la première tablette.

Sans entrer dans l'étude détaillée de la deuxième tablette, il peut être utile d'éclairer quelques-unes des nombreuses difficultés de son ouverture, avant d'évaluer l'apport de ce verset.

Genèse 2.4-5a

Des compléments d'objet direct en 2.5a ?

Parfois citée dans les débats[n3], une ancienne traduction du verset 2.5 donne valeur de conjonction au mot טֶרֶם (terem) et comprend que 4 Dieu fit la terre et les cieux, 5 et tout buisson des champs avant qu'il soit sur la terre, et toute herbe des champs avant qu'elle ait poussé...[n4]

Cette option de lecture, qui déjà écarte une formulation introductive traditionnelle des récits des origines[n5], se heurte encore à la composition du présent récit. En effet, le verset 2.4 étant élaboré en chiasme (cf. Contexte étroit § Chiasme en 2.4), prendre les mots du verset 2.5 pour compléments d'objet du verbe "faire" de 2.4b serait comprendre, dans la construction du chiasme et en sa dernière partie, des données (terrestres - tout buisson des champs, toute herbe des champs -) sans rapport avec cette finale (A'- et cieux).

Titre-annonce

Après avoir observé l'ouverture de la deuxième tablette en 2.4 (cf. Contexte étroit), il faut noter que les interprètes divergent encore sur la limite entre le titre-annonce et le début du récit :

GENESE 2ème tablette [A] 2ème tablette [B]
a - Narration complète :
Titre - annonce
2.4 Voici la généalogie des cieux et de la terre lors de leur création,
au jour où le Seigneur Dieu fit terre et cieux.
2.4a "Voici la généalogie des cieux et de la terre lors de leur création.
b- Début de narration :
Information préalable sur un état initial
2.5a [- or] aucun buisson des champs n'était encore,
aucune herbe des champs n’avait encore poussé,
2.5b car le SEIGNEUR Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre (אָרֶץ),
et il n'y avait pas d'homme pour cultiver le sol (אֲדָמָה)... [-]
2.4b Au jour où le SEIGNEUR (YHWH) Dieu fit terre et cieux,
2.5a aucun buisson des champs n'était encore,
aucune herbe des champs n’avait encore poussé,
2.5b car le SEIGNEUR Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre (אָרֶץ),
et il n'y avait pas d'homme pour cultiver le sol (אֲדָמָה)...

Quelle que soit l'option retenue (A ou B), une même leçon apparaît : la situation exposée par les deux propositions du verset 2.5a

  • est située au jour où le SEIGNEUR (YHWH) Dieu fit terre et cieux
    • - soit par l'annonce initiale en titre [A] : 2.4 Voici l'histoire... lors de leur création, au jour où...
    • - soit par la proposition subordonnée [B] : 2.4b Au jour où...
  • est expliquée par la première des deux, voire par les deux propositions suivantes (2.5b) : car le SEIGNEUR Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre (אָרֶץ), et il n'y avait pas d'homme pour cultiver le sol (אֲדָמָה).

Genèse 2.5ss

Outre une divergence de vue quant à l'enchaînement de leurs propositions, les versets 2.5 et suivants sont l'objet d'interprétations variées :

GENESE 2ème tablette [I] 2ème tablette [II]
b- Début de narration :
Information préalable sur un état initial
2.5 aucun buisson des champs n'était encore,
aucune herbe des champs n’avait encore poussé,
car le SEIGNEUR Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre (אָרֶץ),
et il n'y avait pas d'homme pour cultiver le sol (אֲדָמָה) ;
2.6 un flot (אֵד) montait de la terre (אָרֶץ) et abreuvait toute la face du sol (אֲדָמָה).
2.5 aucun buisson des champs n'était encore,
aucune herbe des champs n’avait encore poussé,
car le SEIGNEUR Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre (אָרֶץ),
et il n'y avait pas d'homme pour cultiver le sol (אֲדָמָה).
c- Premier acte 2.7 Le SEIGNEUR Dieu modela l'homme... 2.6 Un flot (אֵד) monta(it) de la terre (אָרֶץ) et abreuva(it) toute la face du sol (אֲדָמָה). 2.7 Le SEIGNEUR Dieu modela l'homme..."

Plusieurs points sont ici disputés, à commencer par le sens du mot אֵד en 2.6. Selon les associations étymologiques avec le sumérien-akkadien id, l'akkadien edû ou l'éblaïte i-dou, les traductions défendues sont nombreuses : vapeur, nuage, flot, etc.[n6] Quel qu'il soit, cet אֵד, qui monta(it) de la terre (אָרֶץ), couvr(a)it tout le sol (אֲדָמָה).

Alors, selon les lectures,

  • soit cette précision du verset 2.6 complète la description de la situation initiale [I] : après des termes d'absence en 2.5, des termes de présence en 2.6 ;
  • soit il s'agit d'une première intervention sur la situation initiale [II].

Qu'il complète le descriptif en 2.5 de la situation initiale [I] ou qu'il fasse partie de la solution apportée à cette situation [II], le verset 2.6 précise cette situation, mais sans altérer les constats d'absence de 2.5 dans leur rapport de causalité :

  • Cela va de soi si, comme la présence de l'homme (2.7), celle de l'אֵד vient répondre aux absences de 2.5 [II].
  • Mais c'est également le cas si l'אֵד qui abreuve le sol est vu comme appartenant à cette situation de 2.5 [I]. Pas plus que l'absence de pluie ou de travaux agricoles, sa présence ne peut être vue comme fructueuse : ce serait rendre inutile la justification d'absence de plantes par celle de pluie ou de travaux agricoles (2.5) par l'homme (2.7). L'אֵד ne pouvant être pris ici pour un nuage de pluie, puisqu'il n'y avait pas de pluie (2.5a), la situation initiale envisagée (2.5-6) combinerait absence d'eau - sécheresse - et inondation infructueuse - défaut d'irrigation -.

Bien d'autres points seraient à aborder pour avancer plus avant dans l'exégèse de ce début de la tablette, mais ces premiers éléments suffisent à éclairer le verset 2.5.

L'argument de Genèse 2.5

Quelle que soit l'étendue terrestre considérée, quelle que soit la nature des végétaux désignés, Moïse affirme qu'en ce lieu-là et en ce temps-là,

GENESE 2.5
2.5a aucun buisson des champs n'était encore,
aucune herbe des champs n’avait encore poussé,
2.5b car le SEIGNEUR Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre (אָרֶץ),
et il n'y avait pas d'homme pour cultiver le sol (אֲדָמָה)...

a. Tout d'abord, le descriptif qui nous est présenté en 2.5(-6) est situé (lors de la création [des cieux et de la terre,]) au jour où le Seigneur Dieu fit terre et cieux - cf. § Titre-annonce -, en un temps repéré en un lieu par

  • des absences : de buissons et d'herbes des champs, de pluie, d'activité agricole ;
  • une présence, peut-être : d'un אֵד qui abreuvait le sol.

b. Ce descriptif correspond par ailleurs à une situation initiale appelée à changer :

  • son absence de buissons et d'herbes des champs est expliquée par son absence de pluie, voire de travaux agricoles ;
  • un אֵד soit abreuvait le sol, soit l'abreuvera - cf. § Genèse 2.5ss : I et II - ;
  • la création de l'homme (en 2.7) mettra fin à l'absence soulignée (en 2.5b).

c. Le motif invoqué en 2.5b porte sur le défaut des conditions de croissance des buissons et des herbes des champs. Défaut des conditions naturelles (climatiques) : il n'y avait pas de pluie et, le cas échéant (cf. § Genèse 2.5ss, option I), s'il venait de l'eau, elle couvrait le sol ; voire, défaut des conditions artificielles (agriculture) : il n'y avait pas encore d'agriculteur prêt à prendre soin d'un jardin.

Quelques remarques s'imposent alors :

  1. Si l'auteur fait état d'un אֵד qui inondait régulièrement le sol - cf. § "Genèse 2.5ss" : option I -, ce constat n'est pas le motif premier invoqué pour l'absence des plantes des champs. Ce pourrait être un motif second : lorsque le sol n'était pas sec, il était inondé, et quoi qu'il en soit, improductif.

  2. Invoquer l'absence de pluie pour la croissance de plantes fait sens si le sol est aride.

  3. Invoquer l'absence de pluie ou de travaux agricoles pour la croissance de plantes fait sens si, en leur présence, la situation terrestre aurait pu être autre, c'est-à-dire avec des buissons des champs, avec des herbes des champs. Si la situation n'avait pu être inverse, ni le défaut de pluie ni celui de travaux agricoles ne justifieraient de quelque manière l'absence de ces plantes : ce seraient de faux motifs.

Ce qu'affirme ce motif de 2.5b, c'est qu'en ce temps-là et à cet endroit aride, en présence des moyens ordinaires naturels (climatologie) ou artificiels (agriculture) propices à la croissance des plantes, buissons et herbes des champs, toutes plantes ordinaires de la campagne, auraient pu pousser et être observés. Or la croissance des plantes liée à de telles conditions ordinaires implique le temps de leur croissance, des semaines...

S'il le fallait, cet indice confirme que le responsable des deux tablettes introductives de la Genèse n'écrit ni n’invite à lire son premier récit comme un compte-rendu chronologique de ce qui s’est passé.

Bien sûr, cet argument a fait l'objet de réponses en défense d'une lecture littéraliste de la semaine. Un aperçu et une évaluation sont proposés ci-après (cf. Genèse 2.5 : débat).

_______
1. KLINE, Meredith G., Because It Had Not Rained, Westminster Theological Journal 20 (1957-1958), pp. 146-157 - disponible en ligne ici -.

2. La traduction est celle proposée par Henri BLOCHER dans son livre, Révélation des Origines, Le début de la Genèse (Collection théologique Hokhma ; Lausanne (Suisse) : Presses Bibliques Universitaires, 1979).

3. Par exemple, Paulin BEDARD, Critique de l'interprétation "cadre" ou "littéraire" de Genèse 1, La Revue Réformée n° 252 - 2009/5 (novembre 2009 - tome LX), § 1.C.b - disponible en ligne ici -.

4. Par exemple, la traduction de Genèse 2.4-6 dans La Sainte Bible, trad. J.N. Darby (Valence, France : Bible et publications chrétiennes, 1981) : Ce sont ici les générations des cieux et de la terre lorsqu'ils furent créés, au jour que l'Eternel Dieu fit la terre et les cieux, et tout arbuste des champs avant qu'il fût sur la terre, et toute herbe des champs avant qu'elle crût ; car l'Eternel Dieu n'avait pas fait pleuvoir sur la terre, et il n'y avait pas d'homme pour travailler le sol ; mais une vapeur montait de la terre et arrosait toute la surface du sol...

5. Umberto CASSUTO, A commentary on the Book of Genesis, Part I : From Adam to Noah, Genesis I-VI 8 trad. Israel Abrahams (Jerusalem : The Magnes Press, The Hebrew University, 1998), pp. 74 et 101.

6. Par exemple, Gordon J. WENHAM, Genesis 1-15 (Word Biblical Commentary ; Waco, Texas : Word Books, Publisher, 1987), pp. 57s.

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