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Genèse 2.5 : débat

Après avoir exposé l'argument tiré de Genèse 2.5 en soutien de la thèse dite littéraire ou du cadre (Framework hypothesis), nous examinons ici la réponse à cet argument par les défenseurs d'une lecture littéraliste de la semaine de Genèse 1.

Comme la page est assez longue, en voici le menu. Chaque titre renvoie vers sa mention plus bas dans le texte, mention qui est elle-même un lien permettant de revenir à ce menu.

Suivi par de nombreux littéralistes, l'essai critique d'Edward J. Young est exemplaire[n1] :

  1. Sa question (p. 59) : La question à considérer est de savoir si, sur la base de Genèse 2.5, nous sommes fondés à croire que la méthode par laquelle la providence divine opérait durant la période de création était la même que celle en cours actuellement ;
  2. Sa lecture de Genèse 2.5 (p. 61) :
    Contexte de Genèse 2.5, l'histoire des cieux et de la terre suit le récit de leur création et traite avant tout de l'homme :
    • la situation (2.5a) : Le sol sans eau de Genèse 2.5 est mis en contraste avec le Paradis bien pourvu en eau qui doit devenir la demeure terrestre de l'homme.
    • les explications (2.5b) : Le jardin ne peut être planté tant que le sol n'a pas eu d'apport d'eau, ni ne peut être entretenu tant qu'il n'y a pas d'homme prêt à l'ouvrage.
  3. Sa réponse : L'appel à Genèse 2.5a... pour établir la thèse que durant les jours de création le modus operandi de la providence divine était le même qu'actuellement ne peut être valide que si elle prouve qu'il n'y avait pas d'intrusion surnaturelle telle qu'on peut en trouver, par exemple, dans la réalisation de miracles (p. 64). Or,
    • soit Genèse 2.5 décrit la terre entière (p. 61) et pourrait alors désigner la terre sèche du troisième jour (p. 64). Mais, au vu des deux actes de création de ce jour, le modus operandi providentiel ne prévalait pas ce troisième jour (pp. 62s n. 50, pp. 64s).
    • soit, thèse qu'il préfère, Genèse 2.5 ne parle que d'un lieu et n'a pour but... [que] de montrer qu'en contraste avec un terrain vague dépourvu d'eau, la demeure de l'homme devait être un jardin (pp. 61, 63), ce qui n'apporterait aucun éclairage sur le récit de la création. Le sixième jour pourrait alors être concerné, mais toujours dans un contexte d'intrusion d'actes extraodinaires, comme la création de l'homme - Genèse 2.7 - : la réponse au besoin d'un homme pour cultiver le jardin ne fut pas donnée au moyen d'une action providentielle. Pour répondre à ce besoin, il y eut une intervention surnaturelle... (pp. 63s).

Plusieurs observations s'imposent :

Un étrange procès

La thèse littéraire ne peut être valide que si elle prouve qu'il n'y avait pas d'intrusion surnaturelle lors de la création, plaide la défense littéraliste.

Dans la réponse à la question... de savoir si, sur la base de Genèse 2.5, nous sommes fondés à croire que la méthode par laquelle la providence divine opérait durant la période de création était la même que celle en cours actuellement (point n° 1), il est précisé que le modus operandi de la providence divine était le même qu'actuellement... [s]'il n'y avait pas d'intrusion surnaturelle telle qu'on peut en trouver, par exemple, dans la réalisation de miracles (point n° 3). D'où la dénonciation de préjugé non justifié que Dieu utilisa une providence ordinaire, plutôt qu'une providence extraordinaire (l'intervention miraculeuse de Dieu dans l'ordre créé)[n2]. Or,

  1. la thèse littéraire ne prétend pas qu'il n'y avait pas d'intrusion surnaturelle lors de la création des cieux et de la terre : ... les oeuvres de création étaient entrelacées avec l'oeuvre de la providence - d'une manière analogue à la combinaison de providences naturelle et surnaturelle dans la structure de l'histoire subséquente, souligne M.G. Kline[n3].

  2. affirmer que le modus operandi de la providence divine était le même qu'actuellement... [s]'il n'y avait pas d'intrusion surnaturelle telle qu'on peut en trouver, par exemple, dans la réalisation de miracles est contradictoire : d'un côté, c'est affirmer que le modus operandi de la providence divine actuel n'est pas dérangé par des "miracles", et de l'autre, c'est donner les "miracles" actuels comme exemple d'intrusion surnaturelle dans l'ordre créé !

  3. ce n'est pas l'absence du porteur d'eau ou du donneur de soins - Dieu ou homme - qu'invoque l'auteur de Genèse 2.5 pour justifier l'absence des buissons et des herbes des champs, c'est l'absence de ce qu'ils peuvent apporter : la pluie et les soins agricoles. A l'instar des miracles de Jésus pour nourrir des foules (cf. Matthieu 14.13ss), ce n'est pas le miracle qui est invoqué pour répondre au besoin (contrairement à l'affirmation du point n° 3), c'est l'apport ou non (et apport miraculeux ou non) de la cause seconde naturelle destinée à soutenir la vie des plantes ou de l'homme, c'est la donnée providentielle ordinaire devant satisfaire leurs besoins vitaux : la pluie, les soins agricoles, le pain.

La stratégie

Une considération préalable s'impose. En accord avec les tenants de l'approche traditionnelle de la Genèse, littéralistes ou non (Meredith G. Kline, Edward J. Young, Henri Blocher, etc.), nous avons pu voir que les deux premières tablettes de la Genèse ne sont pas deux récits de création rivaux[n4] : le prologue met tout à sa place dans l'édifice des cieux et de la terre [Genèse 1.1-2.3], avant le récit des événements dont la terre sera le théâtre [Genèse 2.4-3.24][n5]. En attribuant le livre de la Genèse à un auteur conséquent, les tenants de l'approche traditionnelle n'écartent donc ni l'enchaînement des deux premiers récits, ni leur différence de perspective, ni leur accord substantiel. C'est d'ailleurs à cause de cet accord de principe entre les textes que Genèse 2.5 est considéré éclairant pour la lecture de Genèse 1.1-2.3 par les avocats de la thèse littéraire, tout comme les textes de l'Exode (cf. "L'éclairage de l'Exode"), fréquemment cités par la défense littéraliste.

Les arguments en débat sont donc présentés dans le cadre de la perspective traditionnelle du texte mosaïque.

La défense littéraliste se présente comme suit :

  • a- une providence ordinaire n'a pas sa place au milieu des miracles de sa semaine (point n° 3) ;
  • b- bien interprété dans son contexte, Genèse 2.5 n'éclaire pas le récit de la création (point n° 2).

a. Alors que les tenants de la thèse littéraire discernent en Genèse 2.5 un modus operandi providentiel qui met en cause l'interprétation littéraliste de la première tablette, la défense littéraliste avance son interprétation de la première tablette pour dénier à Genèse 2.5 un tel propos : la providence ordinaire n'a pas de place dans sa semaine littérale pleine de miracles (point n° 3). Or cette démonstration est sans intérêt pour la défense de sa position :

  • En effet, l'avocat littéraliste ne fait que s'accorder ici avec la thèse littéraire pour dire que, si un texte lui apprenait qu'un tel régime devait exister sur la durée pour assurer la croissance de plantes lors de la création, ce texte ne s'accorderait pas avec sa lecture littéraliste de la première tablette !

b. Genèse 2.5 : sa description peut être rapportée à Genèse 1.1ss, mais pas sa visée explicative.

  • d'un côté, les informations factuelles du verset 2.5 - absence de plantes, d'eau, d'homme - peuvent être rapportés à la situation de jours de la semaine (point n° 3),
  • mais l'explication de ces faits les uns par les autres - 2.5b parce qu'il... - en ce(s) jour(s)-là, explication à comprendre en Genèse 2.4ss, est sans intérêt pour l'interprétation de Genèse 1.1-2.3 (point n° 2).

Un rapport malencontreux

S'il peut hésiter sur l'étendue du territoire visé par les mots "terre" et "sol" en 2.5 (ce qui ne change en rien la portée de l'argument de 2.5[n6]), l'interprète littéraliste peut situer cet endroit asséché l'un des jours de sa semaine (point n° 3). Or,

  • ce faisant, il affirme qu'en cette semaine de création, pourtant marquée par l'amélioration progressive de la situation - cf. § "6 = 2 + 2 + 2 : De l'inhabitable à l'habité -, un endroit n'a quitté la situation inhospitalière d'un tôhû inondé (1.2-9) que pour retomber dans celle d'un tôhû aride (2.5). En effet, le contraste entre le terrain vague de 2.5 et le jardin de 2.8 est à juste titre souligné par la défense littéraliste[n7]. Or, l'image littéraliste d'un Dieu donateur qui ne cesse d'ajouter des réalités bonnes les unes aux autres est vite ternie quand, en quelques heures, l'amélioration se voit démentie par une régression : passer de l'inondation à la sécheresse n'a rien d'une bénédiction au Moyen-Orient ancien.

Une raison expéditive

Comme la thèse littéraire lui oppose que Genèse 2.5 met en cause son interprétation de la première tablette, le défenseur littéraliste plaide que, bien compris dans son contexte, ce texte ne permet pas d'interpréter la première tablette : Genèse 2.5 n'a pas été écrit pour éclairer le récit de la création des cieux et de la terre, mais pour faire contraste avec le jardin prévu pour l'homme[n8]. Or,

  • du point de vue herméneutique, voilà un raisonnement apparement solide mais trop vite conclu pour être concluant. Admettons que Genèse 2.5 n'a pas été écrit dans le but d'éclairer le récit de la création ; admettons encore qu'il a été écrit dans le but de présenter une situation en contraste avec le jardin à venir ; reste à démontrer que, bien compris dans son contexte, ce qu'il dit de la période de création est dépourvu d'intérêt pour la compréhension de cette période et donc pour la compréhension de la première tablette. Le but d'un propos ne restreint pas ipso facto la pertinence de ses informations au seul but de leur énonciation. Ainsi les textes d'Exode 20.8-11 et 31.12-17 n'ont pas été écrits dans le but d'interpréter Genèse 1.1-2.3 mais de fonder la semaine d'Israël dans un parallèle avec la semaine de Dieu. Or cela n'a jamais empêché les exégètes, littéralistes ou non, de confirmer ou d'infirmer une interprétation de Genèse 1 en fonction de leur lecture de ces textes - cf. "L'éclairage de l'Exode" -.

Un défaut d'explication

Comme tout texte est à comprendre en contexte, les exégètes de Genèse 2.5 ne peuvent faire l'impasse sur cette étude. La défense littéraliste ne s'en privant pas contre la thèse littéraire, suivre ses conclusions devrait donc nous conduire à sa propre interprétation de l'explication de Moïse en Genèse 2.5.

- Le récit des générations des cieux et de la terre (Genèse 2.4ss) focalise l'attention du lecteur sur l'homme et sur la femme dans le jardin d'Eden ; c'est avant tout l'histoire de leur formation et de leur révolte.

- Hésitant parfois sur la limite entre les données d'arrière-plan (2.5[-6]) et les données de l'action (2.[6-]7ss), les exégètes notent qu'un contraste apparaît entre ces données de Genèse 2, contraste qui souligne la bonté de Dieu pour l'homme.

- Hésitant parfois sur le nombre de clauses expliquant en 2.5b l'absence des plantes en 2.5a - seulement l'absence de pluie ou l'absence de pluie et celle de travaux agricoles -, les exégètes peuvent hésiter encore sur l'étendue du territoire à retenir en ce verset : toute la terre ou une partie.

  • Pour la thèse littéraire, cette question de lieu n'est pas cruciale pour l'argument de Genèse 2.5, car celui-ci repose sur des plantes et leurs besoins comblés ou non par Dieu (la pluie) ou par l'homme (agriculture) et non pas sur la localisation du sol où elles devraient pousser (cf. début du § "Un rapport malencontreux").

  • Pour la thèse littéraliste, il semble que le territoire concerné soit un argument de contexte décisif contre la thèse littéraire. D'où l'attente, après sa défense du contexte livré dans les données factuelles de Genèse 2.5, de son interprétation de l'explication donnée par l'auteur dans ce contexte. Or, c'est là que la défense littéraliste se dérobe[n9] (cf. § "Une raison expéditive").

À défaut d'explication

Si les défenseurs littéralistes s'abstiennent de donner leur propre lecture de l'explication de Genèse 2.5a par Genèse 2.5b, ils pensent cependant fournir une interprétation de ce verset qui suffit à prouver son absence d'information utile à la compréhension de la période de création et de la première tablette. Comme cette interprétation de Genèse 2.5 peut varier d'un lecteur littéraliste à l'autre, nous citerons ici quelques auteurs seulement, à commencer par le très érudit Edward J. Young.

En résumé, le point de vue d'Edward.J. Young[n10] :

A [Contexte :] " l'auteur va maintenant focaliser son attention sur ce qui a été engendré des cieux et de la terre, à savoir l'homme. C'est à la lumière de ce fait que Genèse 2:5 doit être compris. La référence primordiale de ce verset est l'homme, non la création, et le but du chapitre 2 est de manifester la bonté de Dieu qui donne à l'homme un paradis pour domicile terrestre. " [p. 61]

B [Constat :] " Deux raisons sont données [expliquant] pourquoi des plantes n'ont pas encore poussé. D'un côté, il n'a pas plu, et de l'autre, il n'y avait pas d'homme pour cultiver le sol.

C [Conclusion :] Le jardin ne peut être planté tant que le sol n'a pas eu d'apport d'eau,
ni ne peut être entretenu tant qu'il n'y a pas d'homme prêt à l'ouvrage.

B' [Commentaire :] Ces deux raisons, donc, visent par anticipation le domicile de l'homme, le jardin, et celui qui doit habiter dans ce jardin. " [p. 61]

A' [Le but de Genèse 2.5 :] " montrer qu'en contraste avec un terrain vague sans eau, la demeure de l'homme devait être un jardin." [p. 61] [En effet, le mot "sol"] "a ici un sens quelque peu restreint... [c'est pourquoi] nous ne pouvons certainement en aucun sens faire appel à ce verset pour aider à l'interprétation de Genèse un, car dans ce cas [d'un sens restreint] le verset souligne seulement que le Paradis a été planté dans ce qui fut autrefois une région désolée." [p. 63]

De l'usage des contextes. Comme le montre l'argumentaire précédent (en particulier A et A'), la compréhension du contexte apparaît décisive pour l'explication de Genèse 2.5. Or le texte et son contexte étroit disparaissent ici derrière l'importance donnée à des contextes larges. Lorsqu'il est dit :

  • la référence primordiale de ce verset est l'homme, non la création, [A], c'est du contexte général, Genèse 2-3, dont il est question et non pas du contexte particulier de Genèse 2.5-6, qui fait état d'une situation terrestre d'avant-l'homme.

Si la compréhension globale d'un texte est possible sans en avoir fait l'exégèse de chaque contexte particulier, la défense littéraliste s'emploie à souligner sa maîtrise et l'importance des contextes larges pour relativiser l'intérêt du verset sensé être interprété[n11].

De la confusion entre but et sens. Comme nous venons de le voir, le contexte général et sa mise en lumière des intentions de l'auteur sont constamment invoqués par la défense littéraliste :

  • le but du chapitre 2 est de manifester la bonté de Dieu qui donne à l'homme un paradis pour domicile terrestre [A] ; [Le but de Genèse 2.5 est de] montrer qu'en contraste avec un terrain vague sans eau, la demeure de l'homme devait être un jardin. [A']

Effectivement, le contexte des versets 2.5-8 permet d'observer le contraste entre la situation dépeinte en 2.5 et celle préparée en 2.8 pour y mettre l'homme. Or, loin de s'en contenter, la défense littéraliste s'emploie à réduire le sens du verset 2.5 au but du contexte : le verset souligne seulement que le Paradis a été planté dans ce qui fut autrefois une région désolée, un anti-paradis. Puisqu'il faut bien un avers et un revers à une médaille, le verset 2.5 doit bien avoir un sens, mais dans un propos d'arrière-plan (2.5s) à tel point dépendant de 2.8 par le contraste qu'il doit exprimer, qu'il n'y aurait pas contexte plus décisif à explorer (cf. point précédent).

Du contournement de la lettre. Si la défense littéraliste se penche sur les contextes larges et focalise l'attention du lecteur sur leur orientation majeure, l'homme, le jardin, on peut s'étonner que des exégètes attentifs à la succession narrative passent si vite sur le contexte restreint de ce verset 2.5 :
- il ne parle pas de l'homme, mais d'un avant-l'homme ;
- il ne parle pas d'un jardin planté, mais d'un territoire sans plantes ;
- il n'explique pas l'absence de plantation d'un jardin mais l'absence de croissance de plantes.
D'autre part, il est aussi surprenant, dans le cadre d'une exégèse si respectueuse de la lettre, de ne trouver aucune explication à la causalité littérale exprimée dans un contexte étroit (2.5b en 2.5) (cf. § "Un défaut d'explication") et de voir cette causalité rapportée à un autre contexte (2.7ss) (cf. la citation en B-C-B').

Après avoir constaté que deux raisons sont données [expliquant] pourquoi des plantes n'ont pas encore poussé [B], Edward.J. Young conclut que ces raisons expliquent que le jardin ne peut être planté tant que le sol n'a pas eu d'apport d'eau, ni ne peut être entretenu tant qu'il n'y a pas d'homme prêt à l'ouvrage [C]. Or, qu'observe-t-on ?

  1. Les mêmes raisons données en 2.5 expliqueraient simultanément pourquoi des plantes n'ont pas poussé [B] et pourquoi le jardin n'a pas été planté [C] : les plantes du jardin ont besoin d'eau et d'entretien, c'est pourquoi Dieu n'a pas encore planté le jardin [C] ; les plantes des champs ont besoin d'eau et d'entretien, c'est pourquoi elles ne poussaient pas [B]. Or la justification de cette absence de plantes des champs par le régime providentiel ordinaire est justement le point qui aurait mérité explication (cf. § "Un défaut d'explication").

  2. En tenant l'absence de pluie et de travaux agricoles (2.5) pour les raisons de l'absence de plantation du jardin (2.8) [B-C-B'], l'on doit comprendre que Dieu n'a pas planté ce jardin avant d'avoir assuré ses conditions normales d'approvisionnement en eau et d'entretien [C]. Or, malgré l'affirmation qu'il s'agit de raisons visant le domicile et l'homme (cf. le commentaire en B'), malgré l'affirmation que la primauté est donnée en Genèse 2(.5) à l'homme (cf. les données du contexte en A), c'est au contraire le jardin qui apparaît le centre d'intérêt de Dieu, si l'on suit cette explication de Genèse 2.5, et pas l'homme : la présence d'un homme n'y est qu'une des données utiles à la plantation du jardin par Dieu. Avec une telle lecture tenant Genèse 2.5 pour explication de l'absence de jardin, ce n'est pas pour l'homme qu'est fait le jardin, mais pour l'implantation d'un jardin qu'est créé l'homme. Tout le contraire des buts reconnus comme étant ceux de l'auteur du récit [cf. les points A et A'].

Paulin Bédard[n12]. Pour souligner d'entrée sa différence d'interprétation d'avec E.J. Young, voici comment il intègre Genèse 2.5 dans sa lecture de Genèse 2 :

Le point principal de Genèse 2 ne porte pas sur les déficiences, mais sur le fait que, malgré ces déficiences (pas de pluie, pas d’homme pour cultiver), Dieu est libre de planter et de conserver miraculeusement un magnifique jardin en Eden. Ce jardin est arrosé par quatre fleuves (pas besoin d’attendre la pluie!) et Dieu lui-même fit germer du sol toutes sortes d’arbres d’aspect agréable et bons à manger (pas besoin d’attendre que l’homme cultive la terre!).

E.J. Young liait l'absence de pluie (devenue au passage besoin d'eau) et l'absence d'homme pour cultiver (2.5b) à l'eau abondante qui arrosera le jardin et à la création de l'homme (2.7) pour conclure que le jardin ne peut être planté par Dieu (2.8) tant que ces besoins (d'eau et d'homme pour cultiver) ne sont pas pourvus. Paulin Bédard, lui aussi, lie les deux déficiences de pluie et d'homme pour cultiver (2.5b) à la plantation du jardin, mais pour conclure que, malgré ces déficiences (pas de pluie, pas d’homme pour cultiver), Dieu est libre de planter et de conserver miraculeusement un magnifique jardin en Eden.

Première observation : Après avoir montré tant d'actes providentiels surnaturels en Genèse 1.1-2.3, on voit mal pourquoi Moïse aurait besoin de prouver la liberté ou la capacité de Dieu à faire ce qu'il veut. En effet, si selon la lecture littéraliste de Genèse 1, Dieu a fait pousser toutes sortes d'arbres et de plantes (1.11) avant de créer l'homme (1.27), il va de soi qu'il peut bien planter un jardin en l'absence de pluie, d'homme, de plantes, etc. ; il va de soi que toute déficience est sans intérêt, que tout propos sur des déficiences importe peu.

Deuxième observation : En liant l'absence de pluie à l'arrosage des fleuves et l'absence d'homme pour cultiver à la plantation du jardin par Dieu,

  • - Dieu se trouve être l'agriculteur qui plante un jardin ;
  • - la présence d'eau apparaît une nécessité qui s'impose à Dieu pour planter son jardin.

D'un côté, la liberté et la puissance qui se passe de l'homme ; de l'autre, l'impossibilité de se passer d'eau, l'obligation de palier l'absence de pluie par une autre source d'eau. Voilà donc des rapprochements entre 2.5b et 2.8 bien loin d'exprimer l'idée d'un Dieu libre de se passer de moyens ordinaires.

On notera, par ailleurs, qu'avec cette approche de Genèse 2, l'attention apparaît portée sur le Dieu agriculteur et son jardin (2.8), non pas sur l'homme, dont la mention de la création apparaît bien mal placée (2.7), vu qu'il est hors jeu dans cette explication - Dieu peut s'en passer -.

Venons en à l'interprétation de Genèse 2.5 :

Genèse 2.5 n’indiquerait pas qu’aucune plante n’avait encore été créée, mais expliquerait pourquoi l’agriculture n’est pas encore organisée: parce que les deux éléments essentiels à l’agriculture (pluie et agriculteur) sont absents.

Troisième observation : Le contexte de 2.8 est plaqué sur le texte de 2.5. L'agriculture de 2.8ss (avec ses éléments : son eau et son agriculteur) impose ses références à l'agriculture de 2.5 (avec ses éléments déficients : pas de pluie et pas d'agriculteur). Or, pourquoi réduire ici la pluie au rôle qu'elle peut jouer dans le domaine agricole ? L'auteur semble moins restrictif par ailleurs : Genèse 2.5 constate deux «absences» ou deux «déficiences»: pas de pluie et pas d’homme pour cultiver le sol. Pourquoi donc? Parce que normalement certaines plantes ont besoin de pluie, et que d’autres plantes ont besoin d’être cultivées.

Quatrième observation : Loin de présenter le Seigneur Dieu dans une transcendance qui ne dépend nullement des conditions naturelles (providentielles, bien sûr) de croissance des plantes, Genèse 2.8-10 le présente en agriculteur qui plante et cultive un jardin arrosé par un fleuve, puis qui en confie la charge à l'homme : un agriculteur dont la culture de son jardin dépend de l'eau. Or peu importe que cet arrosage ou cette irrigation soit apporté(e) par Dieu ou par l'homme et de quelque manière que ce soit : à moins de faire des plantes ou de l'eau du jardin des réalités magiques, le besoin d'eau des plantes parle des conditions providentielles ordinaires de leur croissance.

Cinquième observation : Le contournement des explications de Moïse (cf. § "Un défaut d'explication").

  1. Admettons que Genèse 2.5b indique que les deux éléments essentiels à l’agriculture (pluie et agriculteur) sont absents. Ceci peut bien expliquer que l’agriculture n’est pas encore organisée, mais ce n'est pas ce que leur absence explique en 2.5a : là, il n'est pas fait état du défaut d'organisation de l'agriculture mais de défauts de plantes ou de croissance de plantes.

  2. Par ailleurs, en précisant que Genèse 2.5 n’indiquerait pas qu’aucune plante n’avait encore été créée, l'interprète n'est pas en mal d'expliquer leur existence et leur présence : Même s’il ne pleut pas encore, les plantes déjà créées au 3e jour peuvent avoir été conservées d’une manière surnaturelle inconnue ou encore au moyen de la vapeur ou de la source d’eau qui s’élève de la terre et qui arrose toute la surface du sol (Gn 2.6) ; si des conditions particulières ou miraculeuses peuvent permettre aux plantes agricoles de se passer de la main de l’homme pendant un certain temps, pourquoi ne pourraient-elles pas également se passer de la pluie pendant un certain temps? Le problème, c'est qu'en Genèse 2.5a, Moïse explique pourquoi des plantes, même déjà créées, sont absentes ou ne poussent pas et non pas pourquoi elles existent et subsistent : s'il y a une explication dont on est en attente d'interprétation, c'est encore celle donnée par Moïse.

Wayne Grudem, cité et suivi par Joseph A. Pipa[n13].

Genèse 2.5 ne dit pas réellement qu'il n' y avait pas de plantes sur terre parce que la terre était trop sèche pour les porter... Si nous adoptons ce raisonnement, nous devrions aussi dire qu'il n'y avait pas de plantes parce qu'il n'y avait pas d'homme pour cultiver le sol (Gen. 2.5), car c'est la deuxième moitié du commentaire au sujet du défaut de pluie venant sur la terre. De plus, le reste de la phrase dit que la terre était à l'opposé d'être trop sèche pour porter des plantes : des cours d'eau montaient de la terre et abreuvaient toute la surface du sol (Gen. 2.6 NIV). L'exposé de Genèse 2.5 doit simplement être compris comme une explication du cadre général dans lequel Dieu créa l'homme. Genèse 2.4-6 plante la scène,... Les exposés sur le manque de pluie et l'absence d'homme pour cultiver le sol ne donnent pas la raison physique pour laquelle il n'y avait pas de plantes, mais expliquent seulement que l'ouvrage de création de Dieu n'était pas achevé. Cette introduction nous renvoie aux six premiers jours de création comme contexte général - dans le jour où le Seigneur Dieu fit la terre et les cieux (Gen. 2.4) [-]. Alors est introduit dans ce contexte, de manière abrupte, le point principal du chapitre 2 - la création de l'homme [-].

Première observation : À un mot près. Pour l'auteur, les exposés sur le manque de pluie et l'absence d'homme pour cultiver le sol... expliquent seulement que l'ouvrage de création de Dieu n'était pas achevé. Sans doute, les données factuelles de Genèse 2.5, l'absence de buissons et d'herbe des champs sur terre - c'est semble-t-il la "planète" entière qu'envisage ici l'interprète -, l'absence de pluie et l'absence d'homme permettent de tirer cette conclusion, tant de Genèse 1 que de Genèse 2 : ...l'ouvrage de création de Dieu n'était pas achevé. Mais pourquoi les données de Genèse 2.5b - le manque de pluie et l'absence d'homme pour cultiver le sol - expliqueraient-elles seulement cela ? Tout exégète, a fortiori attaché à la lettre en Genèse 1.1-2.3, devrait a priori s'attacher au fait que ces données de 2.5b expliquent aussi celles de 2.5a, et littéralement : parce que... !

Deuxième observation. Au lieu de rechercher comment Moïse a pu tenir l'ensemble de son propos, causalité de 2.5 incluse, l'auteur tire de ce contexte quelques leçons en contradiction avec une interprétation de cette causalité.

  1. Donnant sa version de l'interprétation "littéraire" de la causalité de Genèse 2.5, il en souligne une première difficulté, le fait que nous devrions... dire qu'il n'y avait pas de plantes [non seulement parce qu'il n'y avait pas de pluie, mais] parce qu'''il n'y avait pas d'homme pour cultiver le sol''. Aucun commentateur n'ayant jamais soutenu qu'il n'y avait pas de plantes sur terre avant l'apparition de l'homme, il en conclut que Genèse 2.5 ne dit pas réellement qu'il n' y avait pas de plantes sur terre parce que la terre était trop sèche pour les porter. Or, cet argument, qui se dispense de proposer une interprétation alternative de la causalité exprimée en 2.5, est loin de devoir s'imposer :

    • Il est en fait obtenu par réduction des deux clauses de Genèse 2.5a à une seule : aucun buisson des champs n’était encore et aucune herbe des champs n’avait encore poussé = il n'y avait pas de plantes. Il s'ensuit une nouvelle lecture de la causalité. La seule clause déduite de 2.5a est de fait expliquée par les deux motifs : l'absence de la pluie et de la culture du sol. A titre d'exemple, voici une justification d'absence de feu : "nous n'avions pas de bois sous la main et personne n'avait d'ailleurs pris d'allumette."

    • Genèse 2.5a comme son explication en 2.5 comprennent deux clauses, ce qui ne plaide pas en faveur d'un cumul des motifs de 2.5b comme explication de chaque clause de 2.5a :

      • Si, dans l'exemple précédent, l'absence de bois ou d'allumette peut expliquer la difficulté d'allumer un feu de bois, l'absence de culture du sol par un homme (2.5b) peut difficilement justifier une absence de plantes sauvages (les arbustes des champs de 2.5a) ;

      • Une autre illustration à quatre clauses permettra de souligner l'inadéquation du raisonnement proposé : "de notre cockpit, nous ne pouvions voir ni le ciel ni la terre, car les nuages nous voilaient les étoiles et le sable tourbillonnait sous nos ailes." Si un résumé du constat, tel "nous ne pouvions rien voir", peut s'expliquer par le cumul des raisons (nuages au-dessus, sable en dessous), ici, chacune des clauses d'explication ne se rapporte qu'à une des clauses du constat : pas de vue du ciel à cause des nuages, pas de vue de la terre à cause du sable.

  2. En affirmant que le reste de la phrase [Genèse 2.6] dit que la terre était à l'opposé d'être trop sèche pour porter des plantes, l'auteur constate qu'il serait absurde d'expliquer une absence de plantes (2.5a) par un défaut de pluie (2.5b) sur une terre inondée (2.6) et conclut : Genèse 2.5 ne dit pas réellement qu'il n' y avait pas de plantes sur terre parce que la terre était trop sèche pour les porter. S'il voit bien que Moïse donne une explication de 2.5a en 2.5b, il ne dit mot de ce qu'elle dit réellement (cf. § "Un défaut d'explication"). Au lieu de tenter de concilier les données de ce contexte (ici, 2.6) avec cette causalité explicite, l'interprète soutient une lecture du contexte qui l'empêche lui-même de donner un sens à ce texte. Sauf à imputer cette impasse à Moïse, c'est l'approche même du texte, avec le raisonnement qui en découle, que nous écartons.

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1. Edward J. YOUNG, Studies in Genesis One (Phillipsburg, New Jersey : P & R Publishing, sans date [1ère édition en 1964]), pp. 59s.

2. Robert V. McCABE, A Critique of the Framework Interpretation of the Creation Account (Part 2 of 2 - June 13, 2007), texte annoté de la note 7 et voir texte entre notes 91 et 94 - page en ligne ici -.

3. KLINE, Meredith G., Because It Had Not Rained, Westminster Theological Journal 20 (1957-1958), texte annoté devant note 4 - disponible en ligne ici -.

4. Edward J. YOUNG, Studies in Genesis One (Phillipsburg, New Jersey : P & R Publishing, sans date [1ère édition en 1964]), pp. 59s.

5. Henri BLOCHER, Révélation des Origines, Le début de la Genèse (Collection théologique Hokhma ; Lausanne (Suisse) : Presses Bibliques Universitaires, 1979), p. 24. Cette identité de vue entre H. Blocher et E.J. Young sur cette séquence du début de la Genèse semble échapper à certains auteurs : par exemple, Joseph A. PIPA, From Chaos to Cosmos : A Critique of the Framework Hypothesis (Westminster Theological Seminary/California - 13 janvier 1998), note 19 - disponible en ligne ici - ; Robert V. McCABE, A Critique of the Framework Interpretation of the Creation Account (Part 2 of 2 - June 13, 2007), texte annoté des notes 51 et 57 - page en ligne ici -.

6. KLINE, Meredith G., Because It Had Not Rained, Westminster Theological Journal 20 (1957-1958), note 8 : If the view of some exegetes were adopted that the sphere of Gen. 2:5 is limited to such cultivated plants as were found in the Garden of Eden, the concept of providential operations involved would remain the same. The text would still affirm that at a point prior to the creation of man and, therefore, within the creation era the absence of certain natural products was attributable to the absence of the natural means for their providential preservation. Texte disponible en ligne ici.

7. Edward J. YOUNG, Studies in Genesis One (Phillipsburg, New Jersey : P & R Publishing, sans date [1ère édition en 1964]), p. 61 : Although the earth is the Lord's and although he might cause the man to dwell on it where he would, nevertheless he prepared a wondrous garden for his guest. To emphasize the beauty of the garden, but above all the goodness of God, a contrast is introduced. Man is to dwell as God's guest not in a waterless waste, but in a planted garden.

8. Par exemple, Edward J. YOUNG, Studies in Genesis One (Phillipsburg, New Jersey : P & R Publishing, sans date [1ère édition en 1964]), p. 61 : The primary reference of this verse is to man, not to the creation, and the purpose of chapter 2 is to manifest the goodness of God in giving to man a paradise for his earthly dwelling ; Joseph A. Pipa, From Chaos to Cosmos : A Critique of the Framework Hypothesis (Westminster Theological Seminary/California - 13 janvier 1998), texte annoté des notes 16 à 23 : The purpose, therefore, of Gen.2:4-7 is not to offer commentary on chapter 1 nor to give a another account of creation, but to give a topical recapitulation of certain aspects of creation in order to lay the foundation for subsequent events (...) Because Genesis 2:4-7 is a recapitulation of certain key events in order to lay the foundation for the account of God's dealings with man in the garden, it ought not to be used as an interpretative grid for chapter 1. - diponible en ligne [lien en bibliographie] - ; Robert V. McCABE, A Critique of the Framework Interpretation of the Creation Account (Part 2 of 2 - June 13, 2007), fin de paragraphe après note 86 - page en ligne ici - : if the contextual setting of Genesis 2:5 is 2:4–3:24, the focus of 2:5 is not intended to provide a hermeneutical grid to reinterpret the clear chronological advancement of 1:1–2:3 as a non-chronological, topical account, but to focus on the formation and fall of man and woman in their paradisiacal environment in Eden.

9. Henri BLOCHER, Révélation des Origines, Le début de la Genèse (Collection théologique Hokhma ; Lausanne (Suisse) : Presses Bibliques Universitaires, 1979), p. 48 note 59, le souligne pour E.J. Young : il affirme que le jour III n'a pas eu de régime providentiel et que Gn 2.5ss se situe le jour VI, mais il n'explique à aucun moment comment, dans ce schéma, l'explication de l'auteur biblique est possible ! Sa réponse ignore le point principal.

10. Edward J. YOUNG, Studies in Genesis One (Phillipsburg, New Jersey : P & R Publishing, sans date [1ère édition en 1964]), pp. 61-65 - cette présentation en chiasme (délibérée ou non) peut aider à suivre son raisonnement, car, une fois alignées au fil du texte, ses thèses présentent quelque correspondance -.

11. Exemples : Robert V. McCABE, A Critique of the Framework Interpretation of the Creation Account (Part 2 of 2 - June 13, 2007), - page en ligne ici - : il annonce qu'une interprétation de Genèse 2.5 est à venir (texte après note 24) :Since some significant advocates of the framework position focus on Genesis 2:5, how is this verse to be interpreted, and how does it relate to the surrounding verses? - On cherchera en vain son interprétation du propos de Genèse 2.5 (voir §§ ''The interpretation of Genesis 2:5'' et ''Summary and conclusion'') - ; Paulin BEDARD, Critique de l'interprétation "cadre" ou "littéraire" de Genèse 1, La Revue Réformée n° 252 - 2009/5 (novembre 2009 - tome LX), § 1.C.b - disponible en ligne [lien en bibliographie] - : Peu importe [ses explications de Genèse 2.5-6], Genèse 2 attire notre attention sur l’homme et sur l’endroit tout à fait spécial mis à part pour l’agriculture. Le point principal de Genèse 2 ne porte pas sur les déficiences, mais sur le fait que, malgré ces déficiences (pas de pluie, pas d’homme pour cultiver), Dieu est libre de planter et de conserver miraculeusement un magnifique jardin en Eden.

12. Paulin BEDARD, Critique de l'interprétation "cadre" ou "littéraire" de Genèse 1, La Revue Réformée n° 252 - 2009/5 (novembre 2009 - tome LX), § 1.C.b - disponible en ligne ici -.

13. Joseph A. Pipa, From Chaos to Cosmos : A Critique of the Framework Hypothesis (Westminster Theological Seminary/California - 13 janvier 1998), texte annoté de la note 23 : conclusion par le résumé de Wayne Grudem, Systematic Theology (Grand Rapids : Zondervan Publishing House, 1994), p. 303 - disponible en ligne ici -.

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