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Juste ou pécheur
Introduction
Israël au Ier siècle. Comme indiqué en introduction de la lettre Création - chute - rédemption
, Jésus se fit nombre d'ennemis au cours de sa vie publique[n1]. On lui fit régulièrement le reproche d'être l'ami des pécheurs et c'est précisément ce qui arriva le jour où Lévi (alias Matthieu) devint son disciple :
Après cela [la guérison d'un paralytique], Jésus sortit et il aperçut un péager, nommé Lévi, assis au bureau des péages. Il lui dit : Suis-moi. (Lévi) laissa tout, se leva et le suivit. Lévi lui fit un grand festin dans sa maison, et il y avait une foule nombreuse de péagers et d'autres personnes à table avec eux. Les pharisiens et leurs scribes murmuraient et disaient à ses disciples : Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les péagers et les pécheurs ? Jésus prit la parole et leur dit : Ce ne sont pas ceux qui sont en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs à la repentance. (Évangile selon Luc 5.27-32)[n2]
Nous aborderons, dans l'ordre, ce qui nous est dit ici du pécheur, du juste et de l'appel à changer adressé au pécheur.
Pécheurs notoires
Sans parler des divers courants de pensée au sein d'une population, la bonne société peut se définir différemment en fonction des lieux et des temps (cf. annexe Histoires de moeurs
). Ainsi, pour un Juif comme l'apôtre Paul, l'Israël du Ier siècle se distingue aisément de l'occupant romain (cf. annexe Géopolitique : en hébreu, en latin et en grec
), bon représentant du paganisme : nous, [pouvait-il dire,] nous sommes Juifs de naissance, et non pécheurs d'entre les nations
(Galates 2.15).
Si, en chaque pays, la bonne société se distingue en particulier de la lie de la société, l'Israël de ce temps-là ne manque pas non plus de pécheurs notoires dans sa population autochtone. En effet, tout le monde y connaît tant soit peu les Écritures, ceux en charge de la société comme ceux en marge de la société, ceux qui enseignent la loi, tels les pharisiens, comme ceux bien conscients de la transgresser, tels les prostituées et les péagers (cf. Matthieu 21.31).
Assurément, dans ce monde juif sous domination romaine, les péagers (collecteurs d'impôt) sont mal vus de leurs compatriotes et à plus d'un titre :
- sur le plan politique : même s'ils perçoivent des taxes pour des communautés locales, leur activité de recouvrement de l'impôt participe au paiement du tribut exigé par un gouvernement païen ;
- sur le plan éthique : si un montant de taxes était exigé par les autorités, les péagers avaient la réputation d'alourdir la charge pour se remplir les poches[n3].
C'est chez l'un de ces pécheurs notoires que l'on retrouve ici Jésus et cela ne convient pas du tout aux justes notoires de la bonne société, les pharisiens.
Justes notoires
Pour les pharisiens, trouver Jésus en pareille compagnie est on ne peut plus choquant. Ne l'ont-ils pas entendu dire à ses disciples si votre justice n'est pas supérieure à celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux
(Matthieu 5.20) ? Or un pharisien se garderait bien de fréquenter des pécheurs notoires, a fortiori ceux qui se rendent impurs par leur contact avec les païens ! D'où leur interrogation accusatrice (Luc 5.30) : Pourquoi mangez-vous et buvez-vous avec les péagers et avec les pécheurs ?
D'où une réplique de Jésus à bien comprendre, car il y formule un reproche et non une concession :
Jésus prit la parole et leur dit : Ce ne sont pas ceux qui sont en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs à la repentance. (Évangile selon Luc 5.31-32)
a- Contexte immédiat : celui de l'incident. En lisant ce propos hors contexte, on pourrait penser que Jésus s'accorde avec les pharisiens sur le fait qu'ils n'ont pas plus besoin de lui qu'une personne en bonne santé n'a besoin d'un médecin. On pourrait vite conclure que les hommes n'ont pas tous à se repentir : il y aurait des pécheurs qui ont besoin de repentance et des justes qui n'en ont pas besoin. Mais pareille méprise n'est possible qu'en ignorant le caractère polémique de ce propos, le fait que Jésus répond ici à des gens qui se voient d'autant plus justes que les autres sont pécheurs. En effet, si Jésus est venu appeler des pécheurs à changer, ceux qui se reconnaissent pécheurs ont, à ses yeux, une longueur d'avance sur des personnes aussi respectées et respectables à leurs propres yeux que les pharisiens :
...Jésus leur dit : En vérité je vous le dis, les péagers et les prostituées vous devanceront dans le royaume de Dieu (Évangile selon Matthieu 21.31)
b- Contexte plus large : celui de l'opposition à Jésus. Pour qui a lu l'introduction de la lettre Création - chute - rédemption
, il est simplement impossible que Jésus considère justes des pharisiens pleins de critiques à son encontre : il renvoie ses contradicteurs aux premières pages de la Bible, se présentant comme celui contre qui se dresse le Serpent menteur et meurtrier.
D'ailleurs, il n'est pas le premier à traiter les hommes, pharisiens compris, de race de vipères
. Lorsque Jean-Baptiste, pour préparer la venue du Messie, prêchait le baptême de repentance pour le pardon des péchés
(Marc 1.4 ; Luc 3.3), lorsqu'il disait repentez-vous, car le royaume des cieux est proche
(Matthieu 3.2), il était loin de distinguer les sadducéens et les pharisiens du reste des foules venues l'écouter :
Comme il voyait venir au baptême beaucoup de pharisiens et de sadducéens, il leur dit : Races de vipères, qui vous a appris à fuir la colère à venir ? Produisez donc du fruit digne de la repentance ; et n'imaginez pas pouvoir dire : Nous avons Abraham pour père ! Car je vous déclare que de ces pierres-ci Dieu peut susciter des enfants à Abraham. Déjà la cognée est mise à la racine des arbres : tout arbre donc qui ne produit pas de bons fruits est coupé et jeté au feu... (Matthieu 3.7ss ; cf. Luc 3.7ss)
Mais la majorité des responsables religieux ne tint pas compte de Jean-Baptiste, et Jésus le souligna publiquement :
Tout le peuple qui l'a entendu et les péagers ont justifié Dieu, en se faisant baptiser du baptême de Jean ; mais les pharisiens et les docteurs de la loi, en ne se faisant pas baptiser par lui, ont rejeté le dessein de Dieu à leur égard. (Évangile selon Luc 7.29s)
Appel à changer
Si Jean-Baptiste (Marc 1.4 ; Luc 3.3), si Jésus (Luc 5.32), si les apôtres après eux (Actes 2.38) appellent des pécheurs à la repentance, ou (mieux traduit ici) à changer[n4], c'est que le sujet est crucial.
1- Conviction de péché. Une chose est claire : ces gens que Jésus côtoie là et que la bonne société considère infréquentables sont bien des pécheurs devant Dieu. Les pharisiens le soulignent, Jésus le confirme et eux-mêmes le savent.
2- Appel. Ce que réprouvent les pharisiens en cette occasion, c'est qu'un opposant au péché aussi affirmé que Jésus se compromette avec des pécheurs. Loin de s'asseoir avec de tels hommes (cf. Psaume 1.1), eux s'en tiennent séparés, par crainte de se souiller à leur contact (pureté rituelle) et parce qu'ils n'ont rien à dire à pareils cas désespérés. Si Jésus entend le reproche qui lui est fait d'apprécier la table des pécheurs (qui se ressemble s'assemble
), sa réponse souligne la méprise des pharisiens : s'il côtoie des pécheurs, c'est pour les appeler à changer ; s'il côtoie des pécheurs, c'est qu'il est venu sauver des pécheurs.
3- Trop mauvais. Certainement, ce qui surprend agréablement Lévi et ses invités, c'est que Jésus, qui annonçait la venue du royaume de Dieu, s'adresse à eux, les parias, les exclus d'avance du royaume à venir. En effet, il n'est pas rare de rencontrer des personnes persuadées que la bonne nouvelle de Jésus, ce n'est pas pour elles ; c'est seulement pour les bonnes gens et pas pour les pécheurs trop mauvais pour être sauvés. Rien n'est plus faux ! Jésus est venu appeler des perdus, des gens indignes d'entrer dans le royaume de Dieu (Luc 19.10). Jusqu'à ces deux brigands crucifiés en même temps que lui, et vous savez la suite. L'un d'eux crut en lui et reçut de lui cette promesse : En vérité, je te le dis, aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis
(Luc 23.43).
Ces quelques mots introduisent à peine cet appel à changer et nous y reviendrons.
T.P., 23 janvier 2022
revu le 06 juin 2022
Annexes :
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1. Il suffit d'ouvrir un Nouveau Testament et de lire l'un des quatre premiers livres pour s'en rendre compte. S'ils abordent la vie de Jésus, de sa naissance à sa mort et sa résurrection, ils sont principalement consacrés à ses dernières années, celles de son ministère public, depuis son baptême par Jean-Baptiste jusqu'à son ascension : on parle de l'Évangile selon Matthieu, selon Marc, selon Luc et selon Jean.
2. Je citerai (avec certaines corrections limitées, comme pharisien au lieu de Pharisien) la version Segond révisée (dite ''Bible à la colombe'') accessible en ligne - ici Luc 5.27-32.
3. C'est la seule observation que fera Jean-Baptiste à ceux venus à lui : Il vint aussi des péagers pour être baptisés, et ils lui dirent : Maître, que ferons-nous ? Il leur dit : N'exigez rien au-delà de ce qui vous a été ordonné
(Luc 3.12s).
4. Cf. Sylvain ROMEROWSKI, QUE SIGNIFIENT LES MOTS MÉTANOÉÔ ET MÉTANOÏA ?
(Fac-réflexion n° 49, 1999/4), p. 37-43 (en ligne : cliquer ici).